giriviller

giriviller

Le cerf et le chasseur

LE CERF ET LE CHASSEUR
Voir photos en bas de l'article

Un matin comme les autres dans une semaine toute blanche et froide.

J'ai de plus en plus de difficulté à déterrer les jeunes pousses car la neige est épaisse et je commence à ressentir le froid à travers mon pelage.
La fatigue aussi.
Ce qui me donne du cœur, c'est de savoir que la belle saison arrivera, inexorablement.
Je connais bien la nature depuis cinq ans que je parcoure la forêt.
Et mes parents avant moi.
Ils m'ont transmis tout ce que je sais et je leur suis redevable d'être ce que je suis : un cerf fier, courageux et noble.
Mes parents ont disparu un jour, pendant la saison des feuilles qui tombent ; j'en ai conçu de la peine mais, relevant la tête où poussaient mes premières ramures, j'ai affronté les forêts.
J'ai fait des découvertes et il m'est arrivé d'avoir peur lorsque les bois s'assombrissaient et que les buissons devenaient fantasmagoriques.
Puis mes émois se sont apaisés et j'ai rencontré celle qui allait m'apporter le réconfort de sa présence.
Ses yeux pleins d'étoiles m'ont fait chavirer le cœur et sa légèreté m'a ému. Nous avons découvert ensemble d'autres bois et d'autres forêts, nous racontant nos souvenirs et bâtissant des projets.
La venue d'un fils m'a comblé de bonheur et avec celle qui est désormais ma compagne, j'ai entrepris l'éducation de  ce petit en lui transmettant tout ce que je savais.
En le voyant grandir, nous avons ressenti fierté et crainte.
Maintenant, je vis seul ! Pas par envie, non ! Seulement par nécessité.
Solitaires, nous sommes moins vulnérables.
En cette saison, où la nature devrait être paisible sous son lourd manteau blanc, il y a des bruits qui arrivent comme des bourrasques de vent violent.
Et puis, il y a ses couleurs criardes et inconnues de la nature qui se déplacent avec lenteur ou qui s'immobilisent à des endroits où je passe régulièrement.
Je sens que cela n'a rien à voir avec la forêt protectrice.
Je fuis mais sans alarme particulière. J'ai confiance dans mes muscles que je sens rouler sous ma fourrure. Mon cœur ne s'emballe pas.
Il y  a d'innombrables chemins pour s'évader et je suis certain de trouver le meilleur au bon moment.
Je fuis presque calmement devant ce bruit qui me vrille les oreilles et me trouble.
L'échappée recherchée est là et je n'ai plus qu'à bondir pour être à l'abri.
À cet instant, le choc me soulève de terre mais je ne ressens aucune douleur si ce n'est un essoufflement rapide.
Le goût du sang envahit ma bouche.
Mes pensées tournent follement dans ma tête.
Je sens le froid m'engourdir et pourtant je poursuis ma route.
Mes genoux plient et j'ai l'impression que le tapis de neige monte à ma rencontre.
La nature me fait un dernier cadeau en amortissant ma chute.
Je sais que je vais mourir mais au moins, c'est chez moi, parmi mes compagnons, ces arbres qui semblent se pencher sur mon corps.
Mes pensées volent vers mon fils.
J'aurais tant voulu voir le nouveau printemps à ses côtés.

Je n'avais pas vraiment envie d'aller à la chasse ce lundi. La neige avait de nouveau recouvert la campagne et elle se faisait lourde et mouillée.
Pourtant, je savais qu'il fallait y aller.
Mon avenir de chasseur, ma carrière comme je dis souvent, dépendait d'un tir au but. Il me fallait abattre un gibier ou le verdict serait impitoyable : plus de chasse ! Condamné à devenir un homme tronc. Cela me fait vraiment peur.
J'ai toujours pensé qu'il fallait savoir s'arrêter quand l'œil trahit ou quand la main tremble.
Il m'arrive d'accuser ma carabine. Celle qui a remplacé le traditionnel fusil de chasse.
Les méthodes ont changé.
Tirer aujourd'hui est affaire de technologie et les munitions sont véloces et dévastatrices.
On est loin de la balle en plomb qui donnait tout de même plus de chance au gibier.
C'était du temps de papa et c'était probablement un temps où la nature avait sa part.
C'était un temps que j'ai oublié. Il faut vivre et chasser avec son époque !
L'arme doit faire corps avec le chasseur, de ce côté, rien n'a changé !
Ces pensées m'ont donné l'énergie nécessaire et je me suis mis en route.
Lourdement.
Mon poste à l'orée d'une tranchée n'avait rien de stratégique et il ne me restait plus qu'a être patient.
La casquette s'est vite transformée en éponge et le froid a commencé à m'envahir.
Il ne se passait rien.
J'entendais seulement le bruit strident et régulier des traqueurs censés rabattre le gibier vers nous. Mais, rien ne bougeait. À part, un point orange matérialisant un camarade, quelque part plus loin, dans le blanc strié du noir des arbres.
Des paquets de neige tombaient des cimes. Lente chute lourde qui brouille la vue et trempe les bottes après avoir mouillé les épaules.
Soudain, un cerf est apparu. Jeune mâle orgueilleux et solitaire.
Les réflexes ont joué au millième de seconde. Mon doigt a pressé la détente. Je n'ai pas entendu le coup de feu, mais j'ai vu le cerf accuser le coup.
Cinquante mètres me séparent du corps étendu dans la neige. J'y vais, foulant la neige épaisse en songeant que je venais de sauver mon avenir.
Pour le cerf, la vie s'est arrêtée, pour moi, ma carrière va finalement continuer.
Ainsi le sort en a t il décidé !
Il y aura donc d'autres hivers à raconter à mes petits-enfants.
Je regarde l'œil du cerf d'où disparaît la dernière étoile.
La vie couleur rouge vif s'enfuit par la blessure que la balle a ouverte.
Il est majestueux dans son écrin blanc taché de sang. Il repose tel un guerrier antique.
 
Je le contemple et je lui suis reconnaissant de m'avoir sauvé de l'ennui.










21/12/2010
3 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 142 autres membres